La Solitude Spirituelle
Tout avait si bien commencé. Une enfance de foi dorlotée par une mère qui avait le sens de l’absolu de Dieu. Une adolescence dans le cadre de Notre-Dame où les fastes des cérémonies marient religion et beauté. Des années de séminaire, où la formation de la foi était intelligente et ouverte. L’enthousiasme du jeune prête en paroisse. Des ministères diocésains passionnants qui stimulaient une foi heureuse et donnée. Puis vint la maladie avec l’acharnement de la douleur. Elle cassa cette harmonie.
Pierre Talec n’était pas préparé à vivre ce que l’on dit magnifiquement dans les homélies sur le silence d e Dieu, son absence. Pire, il découvrait son indifférence. La plus obscure des nuits de solitude sans lune, la plus glacée, c’est la solitude spirituelle. Dieu porté disparu. Dieu déserteur, Dieu devenu étranger qui le rend étranger à lui-même. Quand on a tout misé sur Dieu, ce ne sont pas des raisons dogmatiques qui peuvent ébranler le Crédo. A supposer qu’un concile œcuménique déclarât – par impossible – que Dieu est un en quatre personnes, il n’aurait aucune difficulté à l’admettre puisque Dieu est tout, peut tout. Ce n’est pas l’existence de Dieu qui fait problème. Mais il ne peut pas admettre qu’il soit inexistant quand il s’agit de passer à l’acte pour nous secourir.
Toujours la même obsession : pourquoi Dieu laisse faire le mal ? Cette période de la vie de Pierre Talec correspond au cheminement de Job. Tout le monde s’accorde à reconnaître que le mal est un scandale. Facile ! Belle déclaration qui ne coûte pas cher. Est-ce honnête d’en rester à des abstractions qui ne mettent pas Dieu en cause ? N’est-ce pas Dieu lui-même qui est scandaleux de laisser le mal nous meurtrir, alors que, dans sa toute puissance, il pourrait faire autrement ?
Le toupet va jusqu’à affirmer que Dieu permet le mal pour nous donner la liberté de choisir entre le mal et le bien, comme si Dieu n’avait pas pu faire que la liberté soit l’aptitude à choisir seulement entre deux biens. Comme si le pauvre enfant naissant myopathe avait la liberté de choisir d’être ou ne pas être infirme. Nous avons trop de théologiens dogmaticiens soucieux de faire coïncider la Révélation avec la triste réalité qui nous est imposée. Trop de théoriciens de la doctrine. Nous connaissons une grave pénurie de théologiens du « bon sens » qui auraient l’honnêteté de démarquer une casuistique bien connue.
Reste maintenant le silence du désert dans la paix du soir. A moi d’en faire une petite musique de nuit pour une fin de vie qui tombe doucement, lentement comme ces nuits d’été qui n’en finissent pas de faire luire la solitude de l’étoile du berger.
La pédagogie divine qui apparaît chez le prophète Osée à propos du peuple d’Israël me paraît être en harmonie avec l’attitude spirituelle requise pour accueillir la pacification de l’âme. Le prophète compare le peuple d’Israël à une fiancée que le Seigneur s’est choisie. Elle s’est dévoyée. Il la conduit au désert ; Non pour la punir, mais pour toucher son cœur. Il lui rappel alors avec quelle tendresse il l’a élevée….
Fallait-il donc que je m’enfonce dans ces steppes de l’âme pour me rendre à l’évidence nous dit Pierre Talec : on n’a jamais fini de se convertir, d’évangéliser ces zones obscures de résistance au fond de soi, même quand on prêche l’Evangile toute sa vie. C’est un des bienfaits du désert spirituel nous faire comprendre qu’on peut en rester sans le savoir à une mentalité d’Ancien Testament ; attendre un Messie utile, puissant, triomphant, protecteur. « Seigneur, dis seulement une parole, non pour me guéri, car je sais que tu ne le peux, mais du moins faits un petit quelque chose pour faire disparaitre la douleur ». N’est-ce pas alors demander au Sauveur d’être guérisseur ? C’est mettre le spirituel à la remorque du temporel. C’est être tentateur de Dieu. Alors que Jésus inaugure son ministère de Fils de Dieu dans le désert, qu’a fait d’autre le grand Diviseur. Il incite Jésus à utiliser à des fins personnelles le pouvoir que lui a remis le Père pour accomplir sa mission… On voudrait donc mettre à notre service qui relève du secret de Dieu.
Fallait-il donc que je passe par ces étendues infertiles de l’esprit pour être remis à ma place, celle de l’humilité, devant la Transcendance ?
Extrait du livre que vous trouverez en vente sur ce même blog: LA SOLITUDE DOUCE AMERE
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