La beauté intérieure
Je suis sûr que nous avons tous à un moment ou à un autre senti monter en nous un immense sentiment de tranquillité et de beauté à la vue des vertes prairies, du soleil couchant, des eaux paisibles ou des sommets enneigés. Mais qu’est-ce que la beauté? Tient-elle simplement à notre réaction admirative, ou est-elle dissociée de la perception?
Si vous avez bon goût en matière de vêtements, si vous utilisez des couleurs qui s’harmonisent, si vous avez des manières pleines de dignité, si vous parlez calmement, si vous vous tenez bien droit, tout cela participe de la beauté, n’est-ce pas?
Mais ce n’est que l’expression extérieure d’un état intérieur, tout comme un poème que vous écrivez ou un tableau que vous peignez. Vous pouvez regarder les vertes prairies se reflétant dans l’eau du fleuve et n’éprouver aucun sentiment de beauté, mais passer simplement à côté. Si, comme le pêcheur, vous voyez tous les jours les hirondelles voler au ras de l’eau, cela n’a probablement guère d’importance pour vous ; mais si vous êtes conscients de l’extraordinaire beauté de ce spectacle, que se passe-t-il en vous qui vous fait dire: « Comme c’est beau! »? Qu’est-ce qui sus-cite ce sentiment intérieur de beauté? Certes, il y a la beauté de la forme extérieure – les vêtements de bon goût, les tableaux attrayants, les beaux meubles, ou l’absence totale de meubles, associée à des murs nus aux belles proportions, à des fenêtres aux formes parfaites, et ainsi de suite. Je ne parle pas simplement de cette beauté-là, mais de ce qui entre en jeu pour qu’existe la beauté intérieure.
De toute évidence, pour avoir cette beauté intérieure, il faut s’abandonner complètement ; il faut ce sentiment de n’être retenu ni contraint par rien, d’être sans défense, sans résistance ; mais cet abandon devient chaotique s’il n’est pas doublé d’austérité. Savons-nous ce que veut dire être austère, se contenter de peu et ne pas penser en termes de « toujours plus »? Il faut qu’il y ait cet abandon doublé d’une austérité intérieure profonde – cette austérité qui est d’une simplicité extraordinaire, car l’esprit n’acquiert rien, ne gagne rien, ne pense pas en termes de « plus ». C’est la simplicité née de cet abandon doublé d’austérité qui suscite l’état de beauté créative. Mais sans l’amour, vous ne pouvez pas être simples, être austères ; vous pouvez parler de simplicité et d’austérité, mais sans l’amour elles ne sont qu’une forme de contrainte, il n’y a donc pas d’abandon. Le seul qui ait en lui l’amour est celui qui s’abandonne, qui s’oublie totalement, et fait donc éclore l’état de beauté créatrice.
La beauté inclut évidemment la beauté de la forme ; mais sans la beauté intérieure, la simple appréciation sensuelle de cette beauté de la forme mène à la dégradation, à la désintégration. Il n’est de beauté intérieure que lorsqu’on éprouve un amour véritable pour les gens et les choses qui peuplent la terre, et cet amour s’accompagne d’un très haut degré de considération, de prévenance et de patience. Vous pouvez maîtriser parfaitement votre technique en tant que chanteur ou poète, vous pouvez savoir peindre ou assembler les mots, mais sans cette beauté créatrice en vous, votre talent n’aura que peu de valeur.
Malheureusement, la plupart d’entre nous sont en train de devenir de simples techniciens. Nous passons des examens, nous acquérons telle ou telle technique afin de gagner notre vie ; mais acquérir une technique ou développer une capacité sans prêter attention à l’état intérieur est source de laideur et de chaos dans le monde. Si nous éveillons à l’intérieur de nous la beauté créative, elle s’exprime à l’extérieur, et l’ordre règne.
Mais c’est beaucoup plus difficile que l’acquisition d’une technique, car cela suppose de s’abandonner totalement, sans peur, sans restriction, sans résistance, sans défense ; et nous ne pouvons nous abandonner ainsi que s’il y a en nous cette austérité alliée à un sentiment de grande simplicité intérieure. Nous pouvons être simples sur le plan extérieur, ne posséder que quelques vêtements et nous contenter d’un repas par jour – mais ce n’est pas cela, l’austérité. L’austérité vient lorsque l’esprit est capable d’une expérience infinie, lorsqu’il a de l’expérience tout en restant très simple. Mais cet état ne peut naître que lorsque l’esprit cesse de penser en termes de « plus », en termes de choses acquises ou d’accomplissement au fil du temps.
Extrait … du livre LE SENS DU BONHEUR - KRISHNAMURTI que je VENDS ICI : http://bibliothequecder.unblog.fr/2014/12/04/le-sens-du-bonheur-de-krishnamurti/