INTERVIEW DE Jean Jacques Pauvert
C’est un grand nom de l’édition qui disparaît: Jean-Jacques Pauvert est mort samedi à Toulon. Il avait 88 ans, et n’avait jamais cessé d’être un éditeur actif. L’an passé, il travaillait encore à la réédition de Sade vivant, sa biographie monumentale consacrée à l’auteur de Justine ou les Malheurs de la vertu, aux éditions Le Tripode. Plus de 1200 pages. Et en 2011, il avait publié Mes lectures amoureuses: une anthologie des meilleurs textes érotiques (La Musardine).
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Le Nouvel Observateur Vous habitez le Var, à présent.
Jean-Jacques Pauvert Oui, pas loin de Cavalaire, dans une propriété de quinze hectares, où je vis en permanence depuis sept ou huit ans.
Avec le livre, vous avez fait tout ce qu’on peut faire: vous en avez vendu, publié, écrit et lu. Avez-vous aimé être libraire?
Oui, j’ai commencé par là, à 15 ans, comme vendeur à la librairie Gallimard du boulevard Raspail. Et comme lecteur, j’ai été nourri par deux bibliothèques, celle de mes parents et celle de mon grand-père.
Entre lire et écrire ?
Ça va ensemble. La lecture mène à l’écriture, qui mène à la lecture, et ainsi de suite. Editeur, je n’ai jamais cessé de l’être, jusqu’à ces dernières années. C’est un métier qui se perpétue… jusqu’à la fin !
Après avoir publié votre première édition de la biographie de Sade, en trois volumes chez Robert Laffont, vous avez continué à y travailler comme si rien n’était paru…
Tout a commencé quand j’avais une quinzaine d’années. J’avais lu ce qu’en disaient les surréalistes, dans des revues comme «Minotaure». J’ai publié Sade pour la première fois à 19 ans, et j’ai continué. J’avais publié «les Cent Vingt Journées de Sodome» dans le garage de mes parents, à Sceaux… Avec répugnance, d’ailleurs, puisque ma première édition était clandestine. C’est un texte puissamment repoussant, révoltant. La nature de Sade était ainsi. Mais j’ai mis mon nom dessus l’année suivante. Bien sûr j’ai eu affaire aussitôt à la justice, puisque tout ça était parfaitement interdit par les juridictions officielles.
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C’est amusant : vous dites qu’éditer est un métier qui ne se termine jamais, et vous commencez votre carrière d’éditeur en publiant une oeuvre qui n’est pas terminée...
Concernant cette question, mon avis est nuancé. Je considère que l’inachèvement des «Cent Vingt Journées de Sodome» n’en est pas vraiment un. Bien sûr, Sade n’a pas fini le livre, mais il le finit quand même, par une sorte de résumé.
Si l’on regarde votre parcours d’éditeur, on se rend compte que vous avez privilégié les auteurs anciens, ou déjà consacrés. Vous avez découvert peu de jeunes auteurs.
Si, j’ai publié beaucoup d’auteurs jeunes et vivants ! Albertine Sarrazin, Brigitte Lozerec’h, Hortense Dufour, beaucoup de femmes en fait.
Et puis vos amis : Klossowski, Bataille, Debord…
Bien sûr. J’ai approché Debord très vite, par exemple. Je l’ai publié, et puis Gallimard l’a repris, j’ai donné mon accord, et participé à l’édition chez eux, comme conseiller en quelque sorte. J’étais en bons termes avec eux.
Pouvez-vous nous parler de Bataille ?
A la fin, il était très malade, vraiment mal en point.
Et au début ?
Je le voyais régulièrement, et j’ai bien connu sa femme et sa fille. Je me rappelle un dîner très pittoresque, avec lui et Klossowski : ils s’engueulaient en latin !
Vous êtes d’accord avec son idée de l’érotisme transgressif?
Pas du tout. C’était son problème à lui : Dieu, la religion, il ne s’en est jamais sorti. Annie Le Brun en a très bien parlé.
Et Klossowski ? Aviez-vous lu sa traduction de «l’Enéide»? C’était très, très spécial!
Très spécial, oui ! Je n’étais pas vraiment d’accord… Mais j’ai publié un livre de lui, une merveille, «Le Bain de Diane», qui est absolument saisissant.
C’était un grand érudit. On a l’impression qu’il savait tout.
Heu… En fait, non ! [Rires.]
Ah bon. Il paraissait aussi savant qu’Apollinaire.
Apollinaire était surtout un grand poète. Ce texte qu’il a écrit pour la collection «Les maîtres de l’amour», en tête des extraits de Sade, est absolument formidable ! Et c’est lui qui a révélé Sade – non pas au grand public, mais au petit public de cette époque [1909, NDLR]. Il faut absolument lire ça ! D’ailleurs, tous ceux qui ont bien parlé de Sade ont toujours été les grands poètes – depuis Baudelaire.
D’autres en ont parlé, qui n’étaient pas poètes du tout.
Mieux vaut les oublier.
Barthes n’est pas oublié…
Ce sont des gens qui jouent. Ils ont pris Sade au sérieux, mais ce qu’ils disent n’est pas sérieux.
Et Albertine Sarrazin ? Elle vous a envoyé son manuscrit par la poste?
Oui. Vous savez, elle s’était enfuie, s’était cassé l’astragale, et avait été recueillie par un petit truand. Elle raconte ça dans son livre. Elle a envoyé son manuscrit à Gallimard et à moi. Gallimard lui a envoyé un questionnaire à remplir, moi je lui ai envoyé un contrat à signer…
Vous aimiez les taulards à ce qu’il semble. Vous avez aussi édité Genet. C’était compliqué avec vous, comme avec Gallimard ?
Non, pas du tout. J’avais des rapports très amicaux avec lui, très immédiats. Je l’avais amené chez mes parents, par exemple. Cela s’est très bien passé, il était d’une courtoisie très cérémonieuse…
Comme sa langue, finalement.
Exactement. Ce n’était pas un truand… Il volait des livres à la librairie Gallimard, et puis c’est tout. Il posait sa serviette truquée sur des livres, qu’il glissait dedans, et puis il repartait avec. Aucun rapport avec la truandaille ordinaire.
Figure dans votre oeuvre d’éditeur un monument : la réédition du «Littré».
Ce fut un énorme succès. C’était Hachette qui me distribuait. Et puis ils se sont mal comportés, comme souvent, et ont voulu me le piquer. Je suis allé aussitôt chez Gallimard pour m’en plaindre, et nous nous sommes coalisés, en quelque sorte, contre Hachette. C’est un dictionnaire merveilleux, le modèle des dictionnaires de langue: l’érudition, la précision, le choix des exemples… La maquette, que je n’avais pas conçue, pour une fois, était étonnante, et a beaucoup fait pour le succès. C’est Jacques Darche qui l’avait dessinée : pour la première fois, un dictionnaire se présentait sur une seule colonne, en hauteur.