LA FRANCE ET SON MENSONGE
EXTRAIT DU LIVRE : de Fr. de Closets
Lorsque, très jeune, je me suis plongé dans Le Capitaine Fracasse, je fus surpris qu’un noble, le baron de Sigognac, puisse traîner une misère sans espoir dans un château à l’abandon. Théophile Gautier me révélait une aristocratie dont l’héritage était moral plus que matériel. Sigognac avait l’âme noble et cela seul importait, son impécuniosité n’était que de circonstance. Je n’ai pas fait le rapport entre le roman que je lisais et la situation que je vivais. De fait, je n’ai jamais entendu mes parents faire référence à notre lignée, à nos illustres ancêtres ou bien aux valeurs que la famille aurait incarnées au cours des siècles. Notre mauvaise fortune d’alors, tout comme nos meilleures fortunes espérées, n’avaient rien que de très bourgeois. Cette question nobiliaire n’était présente ni dans la cellule familiale, ni dans mon esprit. Nous avions assez de mal à assurer le couvert pour ne pas nous soucier du plan de table.
Par la suite, cette histoire de particule, authentique ou non, m’est sortie de la tête. Ne prétendant à rien, je n’avais crainte d’être déçu. Les « faux nobles » sont attachés à la noblesse, ce n’est pas mon cas.
J’ai donc vécu avec une histoire familiale plus qu’approximative, pleine de zones d’ombre, d’ancêtres supposés, de merveilles et de mirages. Nous avions bien une étude généalogique remontant au début du xve siècle, mais je m’étais contenté de la feuilleter et, n’ayant aucun goût pour ces recherches, je m’en serais tenu à cette version autorisée si mon aîné, Guy, n’avait entrepris d’établir la vérité historique sur la famille.
Notre nom, tout d’abord. Je savais depuis toujours que je ne m’appelais pas Closets mais Pierre de Closets d’Errey. Ma tante, sœur de mon père, écrivait son nom en entier : Carmen Pierre de Clozets d’Errey. Je ne savais d’où venait ce nom, pourquoi il avait chez nous rapetissé, ni comment unz avait pu se transformer en s, à moins que ce ne soit l’inverse.
Notre nom d’origine n’est ni Closets ni Errey, mais Pierre. Une famille de bourgeoisie normande dont les traces lointaines se retrouvent aux archives de Caen. Les Pierre étaient magistrats, commerçants, militaires. L’inconvénient d’un prénom patronymique aussi commun, c’est qu’il vous confond plus qu’il ne vous distingue. Mieux vaut être Pierre quelque chose. Or la famille avait acquis des terres qu’elle avait encloses. Apparaissent donc des Pierre des Clozets qui ne se mêleront plus aux autres Pierre de Normandie. Z ou s, l’orthographe des noms de famille est aussi variable que celle des noms communs est figée. Et, tant qu’à faire, on remplace le s par un z afin de couper toute référence à une banale clôture. Plus significatif est le passage de dés, préposition, à de, particule… ou tout comme.
Et voilà que, peu avant la Révolution, un Léonor – dans la famille, la plupart des aînés se prénomment ainsi – de Clozets achète en Champagne, près de Troyes, un château incendié qu’il fait rebâtir : le château d’Errey, qui aurait appartenu à l’ordre des Templiers – dont aucun de mes ancêtres ne fut membre. Le monument ne restera qu’un demi-siècle dans la famille : juste ce qu’il faut aux nouveaux châtelains pour l’incruster dans leur patronyme. Ce sont donc des Pierre de Clozets d’Errey qui, dans le premier tiers du XIXe siècle, prennent le bateau pour l’hémisphère austral. Ils y resteront un siècle et, dans le petit monde de l’île Maurice et des comptoirs des Indes, les familles françaises tenaient aux particules et aux noms composés. J’ai découvert dans le grand dictionnaire généalogique des familles de l’Inde française que mes ancêtres ont fini par laisser tomber ce Pierre assez commun pour devenir les de Closets de Jort, de Closets d’Ambreville, de Closets de Jentville, etc. En revanche, la branche familiale qui a fait souche en Bretagne est restée Closets sans plus.
À son retour en France, en 1920, mon père, qui n’avait conservé le nom ancestral que pour l’état civil, se lassa d’expliquer aux fonctionnaires que Pierre était son nom et pas son prénom. Il finit par laisser tomber ce socle généalogique, tout comme il avait abandonné le Errey. Va pour Closetstout court. Tant qu’à faire, il aurait pu aussi abandonner le s terminal et revenir au z, ce qui aurait supprimé la confusion avec toutes sortes de lieux clos. C’est d’ailleurs la solution adoptée par la branche australienne de la famille qui, pour se distinguer des placards de rangement ou de nécessité (closets en anglais), a adopté l’orthographe Closey. Après une période d’inflation patronymique, la famille est revenue à la simplicité. J’eusse certes préféré me reconnaître dans une pierre que dans une clôture, mais, à ma naissance, mes parents oublièrent de prendre mon avis.
L’occasion de choisir me fut offerte par la suite, mais je n’ai pas su la saisir. J’aurais pu travailler sous pseudonyme dès que je m’engageai dans une carrière publique. François Pierre, cela m’aurait convenu : je ne veux pas changer de prénom, François d’Assise, mon patron, étant, de très loin, mon saint préféré. J’aurais pu me donner un nom à ma convenance et, du même coup, ne pas infliger à toute ma famille mon image télévisuelle. Encore eût-il fallu se poser la question. La télévision est entrée par surprise dans ma vie, et j’aurais regardé avec des yeux ronds celui qui m’aurait suggéré de laisser Closets au vestiaire.
En définitive, ma particule fut un réconfort quand je vivais dans l’obscurité, et un embarras quand je me suis retrouvé sous les sunlights. Mais l’histoire de ma famille pesa bien davantage que la noblesse réelle ou supposée de ma lignée.
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